La femme Shakti : La femme dans l'imagerie et la mythologie indienne

La condition de la femme indienne, dans la réalité, n'est pas vraiment enviable. Mais qui sait que ce pays, comme aucun autre au monde, n’a accordé une place aussi primordiale à la femme dans sa mythologie ? En effet, le principe "spirituel" hindou vénère la divinité au féminin, les déesses bien qu'inférieures aux dieux sont tout de mêmes honorées dans toutes les "pujas" (prières) et chaque temple possède l'effigie des déesses "majeures" ou des déesses" locales".

Les trois manifestations de Dieu sont toujours présentées au masculin avec leur féminin inéluctablement associé, "Brahma" le Dieu créateur et sa compagne Sarasvati, mais aussi à "Shiva" le Dieu destructeur et sa compagne Parvati, ou à "Vishnou" le Dieu conservateur et sa compagne Lakshmi. Sans oublier celui qui représente le mieux les deux principes féminin et masculin Krishna et Rhada. La tendre moitié féminine des dieux est appelée Shakti (énergie) et est indispensable aux dieux qui ne pourraient exister sans elles. L'un dépendant de l'autre dans une structure intellectuelle et émotionnelle très symboliquement complexe et très enrichissante.


La femme, énergie primordiale dans la philosophie hindoue
 
« Sans Lui elle n'existe pas, sans Elle, il ne se manifeste pas », dit la tradition indienne. Pour la philosophie hindoue, la femme, représente l'Energie primordiale : c'est à dire la « Shakti ». Cette dernière se manifeste sous quatre formes différentes : 

1 Mahakali
2 Mahalaxmi
3 Maheshwari
4 Mahasaraswati 

1 Mahakali

Mahakali, la qualité féminine de courage, de droiture et de noblesse sans peur … C'est aussi la Déesse de la guerre, du sang et de la terrible vengeance. Depuis le début de la civilisation indienne, on a trouvé cette incarnation dans des femmes indiennes : par exemple au XVIIème siècle, avec Unni Arsha, guerrière de Kalaripayat, art martial du Kerala, (dont je vous avais parlé dans Couleur Indienne, dans un très ancien numéro sous l'ancien format) qui donna naissance au Kung-fu (autrefois connu sous le nom de Boxe de Shaolin). Cette dernière, véritable amazone des Indes anciennes, coupa la tête de 88 hommes en combat singulier d'un seul coup d'urimi, une épée flexible à double tranchant. Aujourd'hui encore, les jeunes filles du Kerala s'entraînent au Kalaripayat. 

Quelques siècles plus tard, la Rani (reine) de Jhansi (Centre) se battit férocement contre la colonisation anglaise et mourut les armes à la main le 20 Juin 1858. Les Etats Unis, ou même la France, n'ont jamais eu un Chef d'Etat qui soit femme. Mais en Inde, il y a eu Indira Gandhi, élue démocratiquement, et qui gouverna cet énorme sous-continent d'une main de fer pendant près de vingt ans. Tout récemment, Phoolan Devi, a brisé l'image de la femme indienne, humble et soumise au foyer, en incarnant l'aspect sanguinaire de Mahakali : pour se venger d'avoir été violée à tour de bras par des hommes d'un village de l'Uttar Pradesh, elle forma son propre gang de bandits de grands chemins et revint un beau matin dans le fameux village pour en tuer tous les hommes sur lesquels elle put mettre la main. On fit des films et des livres de ses exploits (dont «Devi», d'Irène Frain) et elle devint célèbre, riche… et député au Parlement indien ! 


2 Mahalaxmi

Si Mahakali est le côté terrible de la Shakti, Mahalaxmi incarne son aspect doux et souriant, bon et généreux. Mahalaxmi c'est la muse de la richesse et de l'abondance, de la création et de la beauté matérielle. Depuis des siècles, les Indiens ont célébré cet aspect incontournable de LA FEMME en la représentant sous toutes ses formes aux frontons de leurs temples, dans les sculptures et les peintures qui décoraient les palais des rois, sur les murs de leurs maisons, dansant, tirant de l'eau du puits, aux champs, en muse, en guerrière… La femme indienne d'alors - avant que les Britanniques n'importent le puritanisme victorien - était libérée et sans contraintes et elle se promenait fièrement les seins nus - qu'elle portait haut et en forme de poires, comme le voulaient les canons de beauté de l'époque. Elle était experte dans tous les arts, y compris celui de l'amour physique, où elle n'avait pas peur de prendre l'initiative, comme le démontrent les extraordinaires fresques érotiques de Khajurao, ou le fameux traité du Kama Sutra. Cet aspect de Mahalaxmi est aussi représenté à la perfection par la danse indienne, qui depuis plus de deux mille ans, déploye toute la beauté, la subtilité et la richesse de la femme indienne. Aujourd'hui, des danseuses telles que Mallika Sarahbai, ou Sonal Mansingh, perpétuent cet art extraordinaire et sont célèbres dans le monde entier.

3 Maheshwari

Maheshwari, c'est l'aspect de la Sagesse féminine, à la fois divine et hautaine, mais également humaine, car infiniment tendre et omniprésente. L'Inde a toujours produit de nombreuses saintes, des femmes qui avaient renoncé au monde, puis étaient revenues, afin de prodiguer amour et consolation aux pauvres mortels que nous sommes. Ananda Mai, telle que nous l'a mainte fois dépeinte Arnaud Desjardins, était l'une de ces femmes admirables. Indienne, de magnifiques longs cheveaux, ses beaux saris blancs, ses silences éloquents et ses paroles justes. Plus près de nous, Ammachi,tendrement appelée Amma (Mère) une femme illettrée du Kerala, qui serre les gens dans ses bras au cours de ses «darshans» (littéralement «vision»), a aujourd'hui des millions de disciples de par le monde. C'est une véritable icône vivante en Inde mais aussi en Europe et aux Etats-Unis.

Mère Teresa, même si elle était née albanaise, avait très tôt pris la nationalité indienne et se considérait Indienne à part entière. De la femme indienne, elle avait emprunté le sari, ce merveilleux morceau de tissu long de six mètres, dont les Indiennes savent se draper si élégamment, et en avait vétu toutes ses sœurs. Elle symbolisait la compassion de la femme indienne et l'Inde n'oubliera jamais l'infatigable dévouement qu'elle mit au service des plus pauvres. Dans l'Occident chrétien, c'est la Vierge Marie qui symbolise le mieux pour les Indiens cette Sagesse-Compassion de Maheswari

4 Mahasaraswati

Mahasaraswati enfin, c'est l'infatigable pouvoir de travail de la femme, son extraordinaire minutie et son incomparable capacité à la réalisation matérielle. On croit que la femme indienne est uniquement cantonnée à la cuisine et à l'élevage des enfants, c'est vrai dans certaines régions, mais l'Inde moderne possède aussi en effet des femmes capitaines d'Airbus, ou pilotes d'avion de chasse, des ministres, telle la redoutable Uma Bharati, des écrivains de talent universel, comme Arundhadi Roy, dont le «Dieu des Petites Choses» s'est vendu à plus de trente mille exemplaires en France, des femmes écologistes, telle Medha Padkar, qui se bat avec acharnement contre l'édification des grands barrages en Inde; ou encore des femmes entrepreneur comme Kiran Majumdra, 45 ans, dont l'entreprise mondialement connue, Biocon, produit génétiquement des enzymes qui vont dans la composition de certains médicaments comme la cyclosporine. Politiquement, C'est parce que l'Inde a reconnu que la femme est moins corrompue que l'homme, plus pondérée, plus pratique, qu'elle entend passer une loi qui réserverait un tiers des sièges au parlement national aux femmes. Un tiers ? Imaginez le tollé si une telle chose était proposée en France ! L'Inde, l'autre Géant d'Asie, démocratique celui-là, est en passe de devenir, d'après de nombreux experts, la prochaine Super Puissance du XXIème siècle. Et cette puissance-là sera féminine : elle incarnera à merveille les quatre aspects de la Shakti, l'énergie qui fait tourner le monde... et les hommes bien sûr ! 



        

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