LES PADONS : l'ART HINDOU REUNIONNAIS

Le choix de la Réunion pour étudier la question de l'Art indien apparait pertinente lorsqu'au cours de certaines recherches nous avons pu constater qu'il existait des peintures hindoues qui datent du XIXe siècle dans les temples de l'île.Ces peintures se trouvent soit sur les murs des temples soit sous forme de petits tableaux.


LES PADONS : l'ART HINDOU REUNIONNAIS
Elles représentent la plupart des divinités hindoues mais il y a aussi des scènes profanes. Leur iconographie est particulièrement intéressante puisqu'elle se base sur les textes sacrés mais aborde de nouveaux éléments iconographiques spécifiques dûs au nouveau contexte sociale de l'île. Ces images au dessin linéaire et simpliste sont les premières manifestations d'Art indien à la Réunion.

Dans l'île, ces peintures sont appelées PADON, inspiré du mot tamoul Padam qui signifie image, dessin ou gravure. Les indiens de l'île l'ont popularisé en Padon qui définit actuellement toutes images évocatrices de la religion des indiens dans l'île.

L'arrivée des indiens dans l'île s'est faite essentiellement après l'abolition de l'esclavage de 1848 pour combler le manque de main-d'oeuvre dans les plantations sucrières.Pour ne pas tomber dans les fléaux dûs au colonialisme les indiens appelés"malbars" se sont fraternisés autour de leur religion en rompant avec le système des castes. C'est ainsi qu'on vit apparaître différentes formes de cultes se côtoyer, tels que les cultes sanglants et les cultes végétariens.

Les malbars pouvaient ériger des temples et pratiquer leur religion. Cependant, très peu d'entre eux ont pu ramener des livres religieux et des illustrations divines.Afin de célébrer leur culte, ils ont créé des images divines par le biais de la sculpture et de la peinture.

La représentation des dieux est chose courante en Inde et celà depuis des millénaires. La peinture, la sculpture et l'architecture se sont principalement développés dans l'Art religieux. Ainsi l'évolution artistique est fréquente malgré une codification des représentations. Une divinité peut être parfaitement figurée dans le respect des règles iconographiques mais avec un style particulier de l'artiste.

Entre le XVIe siècle et le XVIIIe siècle, les temples du sud de l'Inde étaient décorés au plafond et aux murs par de grandes compositions très simples. Les scènes divines et les scènes de la haute société étaient les plus prisées.Les styles variaient mais le dessin restait tout de même grossier.

À la Réunion, l'image divine reste la même, seul le style change.

Cependant, le style ne permet pas d'affirmer qu'il s'agit d'un art hindou réunionnais. Nous pouvons nous poser la question : en quoi ces peintures hindoues réunionnaises révèlent-elles une caractéristique spécifique des artistes réunionnais ?

Nous avons constaté que les artistes indiens du XVIe au XVIIIe siècles ont un style qui s'apparente à celui des artistes réunionnais avec, une composition simple, sans relief et sans perspective : une exaltation des détails décoratifs ; des couleurs vives et chaudes mises en aplats ; des silhouettes géométriques soulignées par un trait noir; l'oeil traité toujours de face et pour finir un stéréotype des personnages masculins et féminins.

Cependant les thèmes indiens sont variés : le profane est illustré par des scènes montrant un rang social élevé,les loisirs de la noblesse, les amoureux etc...Pour le sacré, les divinités obéissent à l'iconographie hindoue. Même si le sacré et le profane se côtoient, une séparation existe entre eux. Tandis que pour les peintures hindoues de la Réunion, le profane se mêle au sacré, il n' y a pas de distinction.

En effet, ces peintures, dans un premier temps se retrouvent pour la totalité dans les chapelles, puis le contexte historique de la communauté des Malbars devient différent des indiens dans l'île. Pendant que l'Inde obtenait son indépendance et s'adonnait à une évolution moderne, la communauté des malbars vivait encore sous le joug du colonialisme. Leur héritage de la culture indienne était bafoué. L'évolution religieuse et artistique s'est effectuée uniquement en 1981 lors de l'entrée à la présidentielle de François Mitterrand. Ainsi la culture hindoue réunionnaise n'a pu connaître l'évolution qu'a eut l'Inde. Le mélange du monde profane et du monde divin était indispensable pour former une solidarité religieuse dans la communauté. Si nous regardons les scènes profanes dessinées sur les padons, elles ont toutes une connotation religieuse.

En effet, si nous prenons l'exemple de la représentation de l'officiant, elle permet de comprendre la nécessité de sa présence pour atteindre la divinité ; celui du tambouryé, de la même collection montre son importance dans le rituel, les sons de son tambour éloignent les éléments négatifs.Toutes ces scènes nous montrent que l'acte profane à un sens sacré dans la religion. Le monde humain n'est pas restreint à un univers particulier, il côtoie celui du divin. A travers ces scènes, les fidèles reçoivent un apprentissage de la vie religieuse.

Pour les représentations divines, l'histoire des divinités est respectée en tout cas pour la version connue des artistes. La divinité est toujours figurée selon ses aspects bienveillants ou coléreux. Elle tient des attributs dans ses mains multiples.Elle est parée de bijoux et de beaux habits. Nous savons que les textes d'iconographies hindoues sont consacrés pour la plupart aux dieux brahmaniques. Or à la Réunion, pour la grande majorité des divinités représentées sur les padons, il s'agit de grâmadevatâ provenant de villages différents du sud de l'Inde. Les malbars ont évolué, dans un ordre logique, l'héritage que leur ont transmis les parents. Cette transmission s'est faite oralement et a provoqué un panthéon hindou réunionnais défini par les différentes divinités venant du sud de l'Inde. Leurs iconographies sont aléatoires et varient selon le contexte social des villageois. En effet, il est étonnant de voir une divinité tenir dans l'une de ses mains un volatile ou encore un narguilé. Ces attributs ne sont pas présents dans l'iconographie hindoue brahmanique.

L'imagination des artistes a fait apparaître sur leur toile de nouveaux éléments iconographiques centrés sur les rites. Ces éléments ne sont pas anodins, ils sont des enseignements de la vie religieuse qui est très rigoureuse à la Réunion.Ces peintures apprennent aux disciples les règles à adopter pour atteindre le divin. Ces éléments sont comme des codes à suivre pour respecter les dieux. La notion de pureté est primordiale dans les rites hindous de l'île.Le fidèle est intransigeant devant ces règles. Les artistes ont essayé de faire comprendre cette notion aux fidèles parla présence d'accessoires rituels,de têtes d'animaux qui sont des éléments iconographiques spécifiques à la Réunion puisque les offrandes animales existent encore. Il est rare devoir représenter de tels éléments sur les peintures religieuses de l'Inde.

LES PADONS : l'ART HINDOU REUNIONNAIS
Prenons un court exemple de la représentation de"Bondyé Mini" Contrairement au représentations brahmaniques des muni qui sont le plus souvent figurés en train de célébrer un rite sacrificiel et possédant des attributs de Shiva (le cobra, symbole du cycle éternel en Inde du sud, qui peut être aussi symbole de fertilité, et le pot,, la sébile de mendiant que portent les divinités sous la forme d'ascète errant ) nous avons à la Réunion 2 représentations différentes de ces Sages.

La première les représente avec 2 bras, fumant du chanvre comme les padons de Mini à la chapelle Maryamen de ST Paul et à la chapelle de Beaufond de St Benoit. Barbus, leurs cheveux noirs sont soit recouverts d'une couronne ou coiffés en chignon. Ils sont le plus souvent assis. L'expression de leur visage est paisible.Leurs habits sont simples mais richement parés de bijoux Ils sont souvent montrés sur un fond paysagé ou floral.

La deuxième représentation les figure debout sur un petit socle. L'exemple du padon de la chapelle Ranganayaguy de St André est intéressante. Dans sa main gauche se trouve une épée,et dans sa main droite un volatile. Moustachu et barbu, il est coiffé d'une couronne t vêtu simplement avec quelques ornements. Tout autour de lui sont représentés des têtes de coqs et de boucs, une bouteille et un verre, un encensoir et un pot. Bien que l'expression du visage soit apaisante, nous sommes loin de l'image paisible précédemment citée.Ce tableau nous montre une représentation de la divinité en mouvement avec un attribut de puissance.

Nous constatons que les artistes réunionnais se sont basés sur 2 thèmes différents pour représenter "Bondié Mini" L'un s'inspirant des munis brahmaniques, en mettant en avant leur rôle de Sages et l'autre en favorisant le culte des offrandes sanguinaires. A première vue, nous pourrions dire que chacune de ses représentations identifie un Mini particulier.Cependant, même en Inde, l'iconographie de ces muni varie et nous ne retrouvons pas celle de la Réunion.

Cette comparaison iconographique s'applique également pour presque tout le panthéon hindou réunionnais, principalement pour les divinités villageoises. A celà s'ajoute la présence d'éléments iconographiques spécifiques de l'île. Cet art est un témoignage de la "vitalité et de la richesse passée des activités religieuses tamoules" Raison pour laquelle il a été intéressant d'effectuer une analyse iconographique et historique de ces padons pour démontrer qu'il existe un art pictural hindou à la Réunion.

Cependant ces représentations destinées à la liturgie connaissent un chamboulement avec l'arrivée des images ramenées par les artistes indiens.Ces dernières sont réalisées selon des règles et des techniques connues par tous les artistes indiens. Ces règles ont été établies depuis des décennies et n'ont jamais changé. Ainsi, il n'est pas étonnant d'être séduit par la finesse et la justesse de ces illustrations divines. Malheureusement les Malbars ne connaissent pas la dimension artistique dans leur religion, ils approfondissent leurs connaissances dans les pratiques et les rites religieux. Ce qu'ils ne savent pas c'est qu'ils possèdent une richesse artistique qui pourrait leur permettre de mieux comprendre leur histoire.

 Issu de la revue SANGAM N°24 d'Octobre 2006. 



        

Commentaires

1.Posté par malbar le 24/01/2017 07:45
Bonjour, il y a peu de personnes qui font des padom, certe discrets, mais talentueux et contactables, pourquoi ne pas les faire connaitre?

2.Posté par Mardémoutou Alix le 31/01/2017 15:26
Bonjour. quelle méthode de datation avez-vous utilisé pour affirmé que les padons étaient du XIXème siècle ?

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