L'industrie du cinéma en Inde plus vibrante que jamais

La première industrie du cinéma au monde en volume relève les défis de son gigantesque marché, réaffirmant son emprise sur le cœur des Indiens.


Confrontés aux chiffres qui font l’Inde - 1,3 milliard d’habitants répartis sur 28 États et sept territoires, 22 langues officielles et 1 652 dialectes[+], huit courants religieux - on peut s’interroger sur la notion d’Union indienne. Les Indiens, eux, répondent souvent que ce qui les rassemble, c’est la passion du cricket et l’amour du cinéma. Des propos que reprenait Anurag Basu, le réalisateur de Barfi ![+] dans une interview récente : « Le cinéma, c’est le ciment de la nation. Lorsque vous êtes au cinéma, vous ne vous souciez pas de la religion, de la caste ou de la culture de la personne assise à côté de vous. » L’industrie cinématographique indienne, qui célèbre ses cent ans cette année, a longtemps été ignorée ou caricaturée par l’Ouest pour ses films masala d’une durée de trois ou quatre heures, emplis de chants et de danse, d’héroïnes replètes et de héros moustachus. Ils constituaient un phénomène culturel dont les codes décalés ne parvenaient pas à être appréciés à l’étranger, diaspora indienne exceptée. Avec 1 255 longs métrages produits en 2011 et 3,3 milliards de tickets vendus, l’Inde est pourtant la première industrie cinématographique au monde en ce qui concerne la production et le nombre d’entrées. Et elle est en pleine transformation.
 
L’émergence de nouveaux contenus
 
Raja Harishchandra, film muet de 1913 réalisé par Dadasaheb Phalke, est considéré comme le premier long métrage indien jamais réalisé[+]. Film mythologique, il donna le ton pour les cent ans qui allaient suivre : les héros seraient plus grands que nature, leurs aventures rocambolesques et le jeu d’acteur oscillerait, aux yeux des Occidentaux, entre le mélodramatique et le parodique. Le scénario, quant à lui, serait largement centré autour d’une star – dont le statut, ici, approche celui de dieu vivant, à l’instar de Rajinikanth, icône du cinéma tamoul, également appelé Kollywood, que ses fans adulent avec une telle ferveur qu’ils baisent les pieds de son effigie (généralement des posters) ou baptisent des temples à son nom.
 
Ces dernières années, à mesure que la société indienne urbaine évolue, ce qui ressort est l’émergence de nouvelles thématiques dans les films commerciaux et le succès au box-office de films hors des sentiers battus. Du côté des blockbusters, on peut ainsi citer le baiser partagé par John Abraham et Abhishek Bachchan – le fils de la grande star Amitabh Bachchan – dans Dostana (2008), un baiser qui avait d’autant plus fait scandale qu’il intervenait dans une société où l’homosexualité était encore pénalisée. Plus récemment, Vicky Donor (2012), un film qui traite d’infertilité et de don de sperme, a connu un vrai succès commercial, rapportant en recettes 9,2 fois son coût de production. Quant à Gangs of Wasseypur d’Anurag Kashyap, un réalisateur de films indépendants plus habitué au succès d’estime que commerciaux, il est parvenu à récolter 470 millions de roupies au box-office. Ces succès inattendus – et d’autant plus profitables qu’ils concernent généralement des films à petits budgets – encouragent désormais les sociétés de production à se concentrer sur le contenu des films plutôt que de compter sur la seule présence de grandes stars pour drainer le public. Même s’il est indéniable que ces dernières permettent de réaliser plus d’entrées que jamais, comme en témoigne le nombre de films ayant dépassé le milliard de roupies de recettes en 2012.

Une industrie en forte croissance, portée par la numérisation et l’augmentation du nombre de salles
 
Après un ralentissement en 2009-2010, l’industrie cinématographique indienne a renoué avec une croissance robuste. Elle a crû de 21 % en 2012, générant 112,4 milliards de roupies. Les revenus générés par les blockbusters sont en constante augmentation, neuf films ayant franchi l’année dernière la barre du milliard de roupies, contre cinq en 2011. Parmi les facteurs explicatifs de ces succès figurent bien sûr la montée en qualité des films indiens et un marketing offensif, mais la numérisation en cours de l’industrie et l’augmentation du nombre de multiplexes jouent également un grand rôle. Les multiplexes, qui représentent 15 % des salles et un tiers des entrées, ont permis l’augmentation du prix moyen du billet qui s’établit aujourd’hui à 160 roupies (60 dans les mono-salles). Grâce à la flexibilité offerte par le passage au cinéma numérique (80 à 90 % des copies distribuées aujourd’hui contre 50 % en 2010), les exploitants gèrent mieux le nombre et les horaires de leurs séances et les taux d’occupation sont en augmentation. Le numérique permet qui plus est de sortir les films dans un plus grand nombre de salles et donc de générer plus de revenus. Le record revient à Ra One, le blockbuster de l’année 2011 avec Shah Rukh Khan en tête d’affiche, qui sortit simultanément dans 3 200 salles.
 
Et si l’ouverture de nouveaux multiplexes dans les villes de 2e et 3e rangs a déjà permis d’attirer un nouveau public, le potentiel de croissance reste énorme. 70 % de la population vit en zone rurale et n’a pas la possibilité de se rendre au cinéma, ni les moyens de payer le prix d’un ticket de multiplexe. S’adressant à la base de la pyramide, Nukkad Entertainment, une nouvelle chaîne de cinéma, développe ainsi un réseau de salles numérisées et climatisées, ciblant spécifiquement les couches les plus pauvres de la population avec des billets d’entrées à prix modiques et des localisations proches des zones industrielles et des sorties d’usine.
 
Ces signaux positifs permettent à l’industrie du film d’être optimiste sur la continuité de la croissance, et le P.D.G. de Motion Picture Association of America (MPAA) estime que l’industrie devrait franchir la barre des cinq milliards de dollars avant 2015.



        

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