CHINE-INDE : LE CHOC DES NATIONALISMES

Le face-à-face entre soldats chinois et indiens dans l’Himalaya est le premier à faire des victimes depuis 1975. Et le contexte géopolitique donne à cet incident des allures inquiétantes, d’autant qu’il oppose deux puissances militaires qui n’ont pas l’intention de perdre la face.


L’élément déclencheur de la confrontation entre soldats chinois et indiens sur les crêtes de l’Himalaya, qui a eu lieu dans la nuit du lundi 15 au mardi 16 juin, reste inconnu. Mais son contexte – la stratégie d’endiguement de la Chine par Donald Trump et la mise en cause de Pékin dans la pandémie de Covid-19 – donne à cet incident des allures inquiétantes, d’autant qu’il oppose deux puissances militaires aux mains de dirigeants nationalistes qui n’ont aucune intention de perdre la face.

Certes, ce face-à-face en plein Ladakh est l’énième d’une longue série, mais c’est le premier à faire des victimes depuis 1975 : vingt morts côté indien et un bilan tenu secret côté chinois. Le fait que le sang ait été versé sans arme à feu, en vertu d’un protocole établi précisément pour éviter une escalade incontrôlée, évoque un fort degré de violence. Ultime symbole, l’affrontement a eu pour cadre la vallée de la rivière Galwan, où les troupes chinoises ont capturé un poste de défense indien en 1962, donnant le signal de la guerre éclair qui les a alors opposés.

Le statu quo qui régit cette section contestée de la ligne de contrôle effectif entre Chine et Inde a vécu. Si les troupes chinoises occupent bien désormais cette zone de quelques kilomètres carrés dont un porte-parole de l’Armée populaire de libération a rappelé que « la souveraineté a toujours appartenu à la Chine », elles auraient ainsi acquis des positions tactiques-clés sur un projet stratégique indien qui exaspère Pékin depuis plusieurs années : la construction par l’Inde d’une route qui suit la frontière, le long de la région chinoise de l’Aksai Chin, que l’Inde revendique.

L’achèvement de cette route prévu fin 2020 et la réorganisation administrative de l’Etat du Jammu-et-Cachemire en octobre 2019, vieux projet d’une droite nationaliste indienne au pouvoir qui s’est vantée de vouloir « verser le sang pour l’Aksai Chin », sont autant de motivations objectives au coup de force chinois. Pékin a voulu donner une leçon à l’Inde, selon une stratégie du fait accompli qui rappelle sa prise d’îlots et d’atolls en mer de Chine du Sud.

Pour la Chine, il s’agit de sécuriser son flanc occidental – l’Aksai Chin fait la jointure entre les régions autonomes aussi stratégiques que volatiles du Tibet et du Xinjiang – tout en protégeant son corridor économique – et lui aussi éminemment stratégique – avec l’« ami de tous les temps », le Pakistan. Cette démonstration de force intervient alors que la Chine est sur la défensive : elle est pointée du doigt pour ses responsabilités dans la crise due au Covid-19, mise à l’épreuve par les Etats-Unis dans la guerre commerciale et voit remise en question la rente qu’elle tirait de la mondialisation. Dans ces moments de tangage, Pékin est intraitable sur ses « intérêts fondamentaux » – comme le prouve le coup de force législatif mené en parallèle à Hongkong pour y imposer des lois de sécurité nationale.

Au-delà du contentieux frontalier, le face-à-face militaire sino-indien illustre les conséquences des tensions croissantes entre l’Occident et la Chine. D’un côté, l’Inde est courtisée par les Occidentaux en dépit du malaise que suscite sa droite islamophobe et liberticide. Le contentieux avec la Chine pousse Delhi vers l’Australie, le Japon et les Etats-Unis. Ce qui, côté chinois, ne fait que confirmer une paranoïa au long cours nourrie par la hantise de l’encerclement. Une configuration qui laisse envisager un monde post-Covid aux tensions géopolitiques exacerbées.



        

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