Inde : la Dame de fer de Manipur met fin à 16 ans de grève de la faim

Cette militante des droits de l'homme de 44 ans avait cessé de boire et manger pour protester contre les pouvoirs spéciaux des forces de l'ordre dans le nord-est de l'Inde. Elle va entrer en politique.


Elle est surnommée la "Dame de fer de Manipur". La militante des droits de l'Homme indienne Irom Sharmila, 44 ans, vient de mettre fin à une grève de la faim de 16 ans. La plus longue du monde. Celle que l'on appelle aussi "Mengoubi", "la Juste", avait cessé de manger et de boire après avoir assisté à la mort de 10 personnes à un arrêt de bus près de chez elle, probablement tuées par l'armée. Elle s'est alors engagée à demander la fin des pouvoirs spéciaux accordés aux forces de sécurité dans son Etat, Manipur, dans le nord-est du pays, dont les habitants sont confrontés à une insurrection séparatiste.

Inculpée pour tentative de suicide - ce qui est puni par la loi en Inde -, elle était confinée dans une chambre d'hôpital de Imphal, principale ville de Manipur. Elle était nourrie de force par sonde nasale plusieurs fois par jour. Après s'être engagée par écrit devant le tribunal à cesser sa grève de la faim et avoir payé 150 dollars de caution, elle a été libérée mardi 9 août. A sa sortie, apparaissant frêle, un tube de plastique toujours attaché au nez, elle a déclaré devant les journalistes : 

"J'ai jeûné pendant près de 16 ans, en pensant que je pourrais changer le système, mais je réalise maintenant que cela ne donnera aucun résultat. J'ai donc décidé de mettre un terme à mon jeûne, d'entrer en politique et de me battre [...] pour la justice." 

Extrêmement émue, sous la surveillance de médecins, elle a commencé à s'alimenter par voie orale devant les caméras de télévision. 

Irom Sharmila a décidé de se présenter aux élections locales en tant que candidate indépendante. La militante avait déjà été relâchée une première fois en 2014 et arrêtée deux jours après sa libération pour avoir "attenté à sa vie". 

Une législation spéciale

Dans le nord-est de l'Inde et au Cachemire, une législation spéciale (Armed Forces Special Powers Act) accorde, depuis 1980 aux forces armées le droit de pénétrer dans des propriétés privées et de tirer à vue. Une loi qui donne des pouvoirs quasi-illimités à l'armée. 

Le gouvernement justifie cette législation par la nécessité de combattre les multiples groupes rebelles qui demandent une plus grande autonomie et des droits accrus aux communautés tribales. La région avait été annexée en 1949 par l'Union indienne. Loin d'avoir apaisé la région, cette loi a provoqué en réaction la multiplication des groupes sécessionnistes. 

Cette loi d'exception est critiquée par les défenseurs des droits de l'Homme qui jugent qu'il s'agit d'une couverture des exactions. Amnesty International avait déclaré la militante "Prisonnière d'opinion" en 2013 et elle a également reçu plusieurs prix internationaux.

Une journaliste indienne raconte dans un article du "Tehelka", repris par le "Courrier international", sa rencontre avec Irom Sharmila en novembre 2006 lors de sa détention à New Delhi : 

"Vous êtes devant une personne absolument unique dans l'histoire mondiale de la protestation politique." 

Le journal raconte comment l'activiste mène alors sa grève de la faim. "Elle se lave les dents avec du coton sec et les lèvres avec de l'alcool pour qu'aucune goutte d'eau ne puisse rompre son jeûne. Son corps est dévasté. Ses menstruations ont cessé. Mais elle est déterminée." 

Interrogé sur ses motivations, la militante indienne répondait : 

"Comment vous expliquer ? Ce n'est pas une punition, c'est mon devoir…"